Les ados qui dorment suffisamment sont plus enclins à petit-déjeuner

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Qui n’a jamais entendu que « le petit-déjeuner est le repas le plus important de la journée » ? A côté de cette phrase bateau, la littérature scientifique s’accorde pour dire que la consommation régulière d’un petit-déjeuner est associée à plusieurs bénéfices en matière de santé [1]. Et pourtant, en 2018 en Belgique francophone, seule la moitié des adolescents prenait un petit-déjeuner quotidiennement [2]. Une proportion qui a d’ailleurs diminué au cours du temps [3].

Pourquoi ? Certaines études ont montré que les raisons les plus communément citées par les adolescents étaient le manque de temps et d’appétit le matin. [4] [5] D’autre part, le niveau socioéconomique et l’environnement familial (la consommation du petit-déjeuner en famille, par exemple) ont été identifiés comme étant associés à la consommation de ce premier repas de la journée [6]. Autant d’éléments éclairants pour le développement d’actions, visant à promouvoir la consommation régulière du petit-déjeuner.

Afin de mieux comprendre les facteurs liés à la consommation du petit-déjeuner chez les adolescents, nous avons exploré son éventuelle association avec le temps de sommeil, d’une part, et la fatigue matinale, d’autre part. Il a en effet été montré que le sommeil, en termes de quantité comme de qualité, pouvait influencer les habitudes alimentaires (et inversement) [7]. Or, l’adolescence est une période au cours de laquelle les habitudes de sommeil changent. Les ados connaissent – pour des raisons sociales mais aussi biologiques – un décalage de leur cycle de sommeil pouvant aller jusqu’à deux heures : ils ont tendance à se coucher plus tard et à se lever plus tard. En semaine, cependant, l’heure de début des cours les contraint à se lever à la même heure que les plus jeunes, ce qui diminue leur temps de sommeil et engendre davantage de fatigue[7]

Les données de l’enquête « Health Behaviour in School-aged Children » (HBSC) menée en 2018 en Belgique francophone ont été utilisées. Il s’agit d’une étude internationale menée tous les quatre ans dans environ 50 pays d’Europe et au Canada auprès d’adolescents. En Belgique francophone, plus de 14 000 élèves de la 5e primaire à la dernière année du secondaire ont participé à cette enquête en 2018 [8][2]. Celle-ci a notamment pour atout d’être multithématique et permet d’étudier les associations entre indicateurs de différents thèmes, notamment le sommeil et l’alimentation. L’analyse présentée ici est focalisée sur les élèves de secondaire dont les données pour les différentes variables analysées étaient disponibles, soit un total de 8444 élèves. Elle concernait les habitudes des adolescents en semaine (du lundi et vendredi), et non pas le week-end.

Sur base de cet échantillon, notre analyse a montré que les adolescents de secondaire dormaient, en moyenne, 8h06 les jours de semaine. Cette durée moyenne était plus élevée chez les adolescents prenant un petit-déjeuner tous les jours en semaine (8h18) que chez ceux n’étant pas dans ce cas (7h48)[2]. De ce fait, les adolescents consommant chaque jour un petit-déjeuner en semaine étaient proportionnellement moins nombreux à présenter une durée de sommeil considérée comme insuffisante (Figure 1).

D’autre part, en 2018, environ un tiers des adolescents (35,8%) déclaraient se sentir fatigués le matin au lever, au moins quatre jours par semaine, les jours d’école. Ce pourcentage était plus élevé chez les adolescents ne prenant pas un petit-déjeuner tous les jours en semaine que chez ceux qui déjeunent quotidiennement (Figure 1). Ces résultats corroborent donc l’hypothèse supposant qu’une durée de sommeil inférieure et une fatigue matinale plus fréquente soient associées au fait de ne pas prendre un petit-déjeuner tous les jours, en semaine. De plus, cette conclusion restait inchangée lorsque différents facteurs, notamment sociodémographiques, étaient pris en compte dans l’analyse.

Figure 1 | Proportions d’élèves de secondaire se sentant fatigués le matin les jours d’école au moins quatre fois par semaine et ayant une durée de sommeil insuffisante, selon la prise quotidienne ou non d’un petit-déjeuner en semaine

Pour aller une étape plus loin, nous avons cherché à déterminer si la fatigue matinale pouvait expliquer - en partie ou totalement - le lien entre la durée de sommeil et la prise quotidienne d’un petit-déjeuner (Figure 2). Toutefois, la fatigue matinale n’expliquait que 5% de cette association, ce qui laisse supposer que le temps de sommeil et la fatigue matinale impactent la consommation du petit-déjeuner indépendamment l’un de l’autre.

Figure2 | Analyse du rôle de la fatigue matinale dans l’association entre la durée de sommeil et la consommation du petit-déjeuner, chez les adolescents en semaine

Plusieurs éléments peuvent aider à comprendre ces résultats. D’une part, le fait de se sentir fatigué le matin au réveil pourrait engendrer un manque d’appétit et diminuer la motivation des adolescents à prendre un petit-déjeuner. Ceux-ci pourraient aussi avoir tendance à se lever le plus tard possible, selon leur temps de trajet pour aller à l’école, et n’auraient donc pas suffisamment de temps avant de partir pour qu’une sensation de faim apparaisse.

Le concept de « chronotype  » pourrait également contribuer à expliquer nos résultats. Il est défini comme la préférence naturelle d’un individu pour avoir des activités plutôt le matin ou plutôt le soir [9]. Il existe un continuum de chronotypes entre les deux extrêmes que sont les « matinaux » et les « oiseaux de nuit »[9]. Les adolescents ayant des chronotypes plus tardifs ont tendance à avoir un temps de sommeil insuffisant : ils se couchent plus tard et, contraints par les horaires scolaires, se lèvent tôt. Une étude récente a mis en évidence que les adolescents avec un chronotype plus tardif étaient davantage enclins à sauter le petit-déjeuner : leur « heure naturelle » pour le prendre arrive plus tard, et ils n’ont donc pas faim avant de partir à l’école[9].

Ces quelques résultats mettent en évidence l’importance de considérer conjointement sommeil et habitudes alimentaires, en développant des actions visant à augmenter le temps de sommeil et à réduire la fatigue matinale. Ceci, afin de promouvoir la prise régulière du petit-déjeuner auprès des adolescents.

Le fait de se sentir fatigué le matin peut cependant avoir des causes variées : cela peut, par exemple, être lié à une consommation trop importante d’alcool ou de tabac [10], ou à des problèmes relationnels et psychosociaux [11]. D’où la complexité d’aborder cette problématique lors d’actions de prévention.

En ce qui concerne le temps de sommeil, des études ont montré que retarder l’heure de début des cours constituait un facteur modifiable pouvant être bénéfique pour une grande proportion des adolescents, notamment en ce qui concerne la consommation du petit-déjeuner [12]. Enfin, étant donné le rôle du chronotype individuel sur les habitudes alimentaires, l’accent ne devrait pas être mis sur le fait de prendre un petit-déjeuner « avant de partir à l’école » uniquement, mais plutôt d’encourager la consommation d’un premier repas d’une composition favorable à la santé, quel que soit le moment de sa consommation le matin.

Article rédigé par Theresa Lebacq, Assistante de recherche au Service d’Information Promotion Education Santé (SIPES), Université Libre de Bruxelles - Ecole de Santé Publique.

Mis à jour le 25/02/2021