Ados soucieux de perdre du poids : des méthodes sujettes aux inégalités sociales.


La prévention du surpoids et de l’obésité est une priorité mondiale de santé publique. L’obésité est en effet un facteur de risque majeur pour la santé, car elle est fortement associée au développement des maladies non-transmissibles les plus fréquentes (maladies cardio-vasculaires, cancers, diabète) et à celui des troubles musculo-squelettiques, ainsi qu’à une santé mentale altérée [1]. De nombreuses recommandations sont ainsi formulées, pour encourager une alimentation et une activité physique favorables à la santé, c’est-à-dire qui participent à limiter les risques de développer ces maladies et qui permettent d’éviter ou de limiter la prise de poids sur le long terme.

En Belgique comme ailleurs, des inégalités socioéconomiques sont observées en matière de nutrition. Qu’il s’agisse d’alimentation, d’activité physique, de sédentarité, ou encore de corpulence, le bilan est le plus souvent en défaveur des catégories les moins favorisées et ce, dès la petite enfance [2].

Le contrôle du poids à une période particulière de la vie

À l’adolescence, les modifications entrainées par la puberté - en particulier chez les filles - et l’augmentation des préoccupations, liées à la perception de soi et au regard de l’autre, font souvent du corps, un sujet sensible. La surveillance et le contrôle du poids se situent à l’intersection des aspects de santé et de représentation du corps, et recouvrent des pratiques variées, qui peuvent être favorables ou défavorables à la santé.

Manger régulièrement des fruits, des légumes, des céréales complètes, des noix ; limiter les apports en lipides et en sucres et pratiquer 60 minutes d’activité physique par jour dont une activité physique soutenue au moins 3 fois par semaine, sont les recommandations pour une alimentation et une activité physique favorables à la santé chez les enfants et adolescents [3]. Les méthodes favorables à la santé, pour contrôler son poids ou en perdre, se trouvent dans leur prolongement. Il est recommandé de conserver des apports nutritionnels équilibrés et d’augmenter les dépenses énergétiques. En France, l’ANSES, dans une synthèse de la littérature scientifique, préconise la prise en charge systématique par un professionnel de la nutrition et souligne que la recherche de perte de poids présente des risques, et ne peut être justifiée que par des raisons de santé [4].

Or, l’adolescence est aussi liée à une prise de distance vis-à-vis du contexte familial, à une plus grande indépendance et à une augmentation du temps passé avec les amis. Ces changements se répercutent sur les habitudes alimentaires, avec un nombre plus élevé de repas pris hors de la maison, une alimentation éventuellement riche en graisses, sucres et sel, mais pauvre en fruits, légumes, céréales complètes et produits laitiers… [5] soit un régime alimentaire bien éloigné des recommandations !

Les méthodes pour perdre ou contrôler son poids, considérées comme défavorables à la santé, telles que sauter des repas, restreindre drastiquement ses apports énergétiques, ou se faire vomir après un repas, ont des effets souvent plus immédiats que les recommandations citées plus haut. Mais, sur le long terme, l’usage de ces méthodes à l’adolescence serait cependant corrélé à une prise de poids plus importante, chez les personnes de corpulence normale, comme chez celles présentant initialement un surpoids [6].

Cet article présente les résultats de l’enquête sur les Comportements, la Santé et le Bien-être des élèves en Belgique francophone en 2018. Grâce aux données recueillies chez les élèves de fin de primaire et du secondaire, nous avons analysé leur recours à des méthodes défavorables à la santé pour contrôler ou perdre du poids, ainsi que les disparités socioéconomiques de ces pratiques.

L’enquête HBSC (Health Behaviour in School-aged Children) est réalisée tous les 4 ans depuis 1986 en Belgique francophone. En 2018, plus de 14 000 élèves de la 5ème primaire à la 7ème secondaire ont été invités à répondre au questionnaire portant sur leur état de santé et leur bien-être, leurs relations sociales, et leurs habitudes de vie.

La thématique « Alimentation » comportait plusieurs questions sur les méthodes utilisées pour le contrôle ou la perte de poids6. Les résultats présentés ci-dessous sont issus de l’une d’elle : les élèves étaient invités à indiquer, parmi une liste de 14 possibilités, les méthodes auxquelles ils avaient eu recours pour contrôler leur poids ou en perdre au cours des 12 derniers mois. S’ils n’avaient rien fait pour contrôler leur poids ou en perdre, une case leur permettait de l’indiquer et de passer à la question suivante.

Parmi ces 14 méthodes, six sont considérées comme défavorables à la santé : sauter un repas, se limiter à un aliment ou groupe d’aliments, jeûner 24h ou plus, fumer plus, se faire vomir et utiliser des pilules amaigrissantes ou laxatives. L’indicateur utilisé ci-dessous identifie les élèves ayant déclaré avoir recours à l’une ou à plusieurs d’entre elles.

Plusieurs indicateurs permettent de rendre compte des disparités socioéconomiques : le genre, le niveau d’aisance matérielle (Family Affluence Scale - FAS, estimé sur base de six questions portant sur confort matériel objectif de la famille de l’élève), le niveau d’aisance financière perçu, le statut migratoire, le statut des parents vis-à-vis de l’emploi et leur niveau d’éducation, ainsi que la structure familiale dans laquelle vit l’élève.

Les résultats présentés ci-dessous concernent uniquement les élèves ayant cherché à contrôler leur poids ou à en perdre, c’est-à-dire près des deux tiers des élèves scolarisés en primaire et en secondaire, en Belgique francophone en 2018.

Des inégalités dans le choix des méthodes

En 2018, parmi les élèves ayant cherché à contrôler leur poids ou à en perdre (n= 7974), les méthodes les plus utilisées, tous niveaux socioéconomiques confondus, restaient les méthodes considérées comme favorables à la santé (Figure 1) : faire du sport, boire plus d’eau, moins de boissons sucrées, manger plus de fruits et légumes, moins de sucreries, moins gras, et en moindre quantité. Seul le suivi d’un régime encadré par un professionnel était peu fréquemment cité [7].

L’analyse de ces méthodes en fonction du niveau d’aisance matérielle (FAS), maintenait ce premier constat (Figure 1). Cependant, certaines méthodes défavorables à la santé, telles que sauter l’un des repas principaux, limiter son alimentation à un aliment ou groupe d’aliments, jeûner pendant 24h ou plus, ou augmenter sa consommation de cigarettes, étaient plus courantes parmi les élèves les moins favorisés. De même, faire du sport, manger plus de fruits et légumes et boire moins de boissons sucrées étaient des méthodes moins utilisées par ces élèves que par ceux des catégories plus favorisées.

En revanche, notons que la proportion d’élèves suivant un régime encadré par un professionnel était stable, quel que soit le niveau d’aisance matérielle. C’était également le cas pour l’augmentation de la consommation d’eau, la diminution des sucreries, et l’utilisation de pilules amaigrissantes ou de laxatifs.

Figure 1 : Distribution des élèves selon les méthodes utilisées pour contrôler ou perdre du poids et par catégorie de niveau d’aisance matérielle (Family Affluence Scale – FAS).

Indication de lecture : Parmi les élèves ayant cherché à contrôler leur poids ou à en perdre, et dont le niveau d’aisance matérielle était élevé, 89,2% déclaraient avoir fait du sport.

Un comportement sujet aux inégalités sociales

Des disparités concernant le recours à des méthodes défavorables à la santé étaient observées, quel que soit l’indicateur socioéconomique considéré (Figure 2). Autrement dit, l’utilisation de ces méthodes était plus ou moins répandue selon les catégories socioéconomiques.

Un gradient était observé pour les indicateurs d’aisance matérielle, d’aisance perçue, d’emploi des parents et de structure familiale (Figure 2). Ainsi, le recours à des méthodes défavorables à la santé était plus fréquent parmi les enfants des catégories les moins favorisées et diminuait progressivement dans les catégories supérieures. Ce « gradient social » est une tendance fréquemment observée dans l’étude des disparités socioéconomiques et un concept-clé dans les inégalités sociales de santé. Il montre que plus leur position sociale est défavorable, plus les individus ont de risque d’être en mauvaise santé [8]. Il reste important de remarquer que selon l’indicateur utilisé, l’ampleur de ce gradient est plus ou moins prononcée - l’écart est plus important pour le FAS (Family Affluence Scale, cf. supra) et moins important pour la structure familiale – Figure 1), puisque les catégories extrêmes de ces indicateurs socioéconomiques recouvrent des mécanismes sous-jacents variés. C’est la raison pour laquelle il est utile de décrire ces disparités en utilisant divers indicateurs du statut socioéconomique.

Figure 2 : Proportions des élèves ayant recours à une ou plusieurs méthodes défavorables à la santé pour contrôler ou perdre du poids, en fonction de différents indicateurs socioéconomiques.

Indication de lecture : Parmi les élèves ayant cherché à contrôler leur poids ou à en perdre et dont le niveau d’aisance matérielle était élevé, 38% avaient eu recours à une ou des méthodes défavorables à la santé.

Outre ce gradient, d’autres configurations de disparités sociales pouvaient être constatées. En regard du niveau d’éducation des parents, la fréquence d’utilisation de ces méthodes était la moins importante chez les élèves de la catégorie la plus favorisée (éducation dans le supérieur). Les élèves des catégories médiane et inférieure y avaient, quant à eux, recours dans des proportions similaires.

Enfin, lorsque l’on considérait le statut migratoire, les élèves les plus à risque d’avoir recours à ces méthodes étaient les immigrés de 2ème génération. Venaient ensuite les immigrés de 1ère génération puis les autochtones.

Des disparités de genre étaient également observées : les filles avaient plus souvent recours à une ou des méthodes défavorables à la santé que les garçons (66,0% contre 58,7%)7.

Ces résultats concordent avec les disparités socioéconomiques observées dans les pratiques alimentaires [9]. Les données de l’enquête HBSC soulignent la part importante d’élèves ayant cherché à contrôler leur poids ou à en perdre. Elles montrent également les pratiques défavorables à la santé et contre-productives à long terme auxquelles certains ont recours, ainsi que l’inégale répartition de ces pratiques au sein de la population.

Près des deux-tiers des élèves de primaire et secondaire ont cherché à contrôler ou perdre du poids en 2018 et parmi eux, la moitié a eu recours à une ou plusieurs méthode(s) défavorable(s) à leur santé. Ces pratiques, plus courantes parmi les élèves les moins favorisés, pourraient être abordées, au même titre que les recommandations nutritionnelles et d’activité physique, dans les actions de promotion de la santé. Connaître les risques pour la santé d’une démarche de perte de poids non encadrée et identifier les pratiques favorables et défavorables, pourrait guider jeunes et moins jeunes vers de meilleurs choix et pratiques alimentaires.

En lien avec ces pratiques, ainsi qu’avec la question du poids et de la perception corporelle chez les adolescents, l’édition 2022 de l’enquête HBSC inclura, pour les élèves de secondaire, un outil de détection des troubles du comportement alimentaire.

Les résultats complets de l’enquête HBSC sont disponibles dans des brochures thématiques, sur le site web du Sipes : https://sipes.ulb.ac.be . Les résultats relatifs aux inégalités sociales de santé seront prochainement publiés et seront également disponibles sur notre site web.

Article rédigé par : Amélie Bellanger
Assistante de recherche au Service d’Information Promotion Education Santé (SIPES) Université Libre de Bruxelles - Ecole de Santé Publique