La structure familiale influence-t-elle les habitudes alimentaires des ados ?

Observations dans l’enquête HBSC 2018 et pistes d’explications.


L’enfance et l’adolescence sont des périodes critiques pour l’adoption de comportements de santé, qui ont de grandes chances de se maintenir tout au long de la vie. Dès l’enfance, des disparités sociales de santé sont observées. Un gradient illustre cette relation entre niveau socio-économique et état de santé  : plus on est socialement favorisé, plus on est en bonne santé [1].

Dans cette perspective, le niveau de richesse ou d’éducation des parents ou encore, le statut migratoire ont été abondamment étudiés. Les conditions de vie et la structure familiale, quant à elles, ont été observées plus récemment. Le modèle de la famille biologique a en effet longtemps été très largement dominant. Si ce modèle reste majoritaire, la part des familles monoparentales et recomposées a augmenté au cours des dernières décennies [2].

Les connaissances sur l’influence éventuelle de la structure familiale sur les comportements de santé sont donc importantes, car de plus en plus d’enfants vivent en dehors d’une cellule familiale constituée des deux parents biologiques. À ce titre, notons que la Belgique se situe parmi les pays européens qui connaissent le plus de diversité dans les formes de structure familiale avec, notamment, une part importante de familles monoparentales [3]

Des situations familiales variées et de multiples facteurs d’inégalités

Rendre compte de la structure familiale dans laquelle vivent les adolescents n’est pas aisé : au-delà du modèle majoritaire de la famille biologique se rencontrent des situations hétérogènes, que de simples catégories ne décrivent que partiellement.

Si la monoparentalité concerne presque exclusivement les femmes, la part d’hommes élevant seuls leurs enfants a fortement augmenté ces dernières années. En 2015, en Belgique, les pères non-veufs représentaient ainsi 10% des familles monoparentales3 [4]. Les familles recomposées quant à elles, regroupent des foyers de taille et de composition variées et peuvent aussi impliquer, pour les enfants, un second foyer en garde partagée. La répartition du temps entre ces deux foyers est variable, ainsi que ses modes d’organisation.

Ces disparités de conditions de vie sont susceptibles d’influencer les habitudes alimentaires des adolescents, en matière de consommations d’aliments, comme dans leurs comportements. Après avoir présenté les constats issus de l’enquête Health Behaviour in School-aged Children (HBSC) réalisée 2018 à ce sujet, nous proposerons quelques pistes d’explication.

L’enquête Health Behaviour in School-aged Children (HBSC) en Belgique francophone

Dans l’enquête HBSC 2018, la structure familiale est décrite selon quatre catégories1 :
  • « Deux parents » : pour les élèves déclarant vivre avec leur père et leur mère ;
  • « Famille recomposée » : pour les élèves déclarant vivre soit avec leur mère et son compagnon ou sa compagne, ou inversement, avec leur père et sa compagne ou son compagnon ;
  • « Famille monoparentale » : pour les élèves déclarant vivre exclusivement avec leur mère ou leur père ;
  • « Autre » : pour les élèves déclarant vivre dans un foyer, une famille d’accueil…

Une autre question a investigué les modes de garde, l’existence d’un second foyer et le partage du temps entre l’un et l’autre. Il était demandé aux élèves qui vivaient en garde alternée entre chez leurs deux parents, de répondre pour le foyer dans lequel ils vivaient le jour où ils passaient l’enquête.

En 2018, en Belgique francophone, 61,9% des élèves de 10 à 20 ans vivaient avec leurs deux parents (8054 élèves), 14,6% vivaient dans une famille recomposée (1895 élèves) et 23,6% vivaient dans une famille monoparentale (3038 élèves). Seuls 2,5% de l’échantillon total (335 élèves) étaient issus d’une structure familiale « autre ». Compte tenu de cette faible représentation et de l’hétérogénéité de leurs situations (foyers d’hébergement, autres membres de la famille…), ils n’ont pas été pris en compte dans les analyses.

Tous les indicateurs de comportements alimentaires étudiés variaient en fonction de la structure familiale (Fig. 1 et 2). D’une façon générale, les élèves vivant avec leurs deux parents avaient une alimentation plus favorable à la santé : comparés à ceux ne vivant pas avec leurs deux parents, ils étaient proportionnellement plus nombreux à consommer quotidiennement des fruits et légumes, et rapportaient moins fréquemment une consommation hebdomadaire de boissons énergisantes, d’aliments provenant de fast-food ou une consommation quotidienne de boissons sucrées (Fig. 1).

La situation des élèves vivant dans des familles recomposées était variable (Fig. 1). Leur fréquence de consommation de fruits était très proche de celle des élèves issus de familles monoparentales, tandis que leur consommation de fast-food était plutôt comparable à celle des élèves vivant avec leurs deux parents. Par ailleurs, ils consommaient des légumes selon une fréquence intermédiaire. Enfin, ils étaient proportionnellement plus nombreux que ceux vivant avec leurs deux parents à consommer quotidiennement des boissons sucrées, et des boissons énergisantes au moins une fois par semaine (Fig. 1).

Les élèves vivant dans des familles monoparentales ont rapporté le plus fréquemment une consommation de fast-food au moins une fois par semaine, et à l’inverse, ils déclaraient le moins fréquemment avoir une consommation quotidienne de légumes, comparés aux autres élèves (Fig. 1).

Figure 1 : Fréquences de consommation alimentaire (%) selon la structure familiale chez les adolescents de Belgique francophone en 2018 (n = 9808)

Les mêmes constats se retrouvent en matière de comportements alimentaires, pour lesquels un gradient a été observé (Fig. 2). Les élèves issus de familles recomposées étaient plus proches des élèves vivant avec un seul parent, par exemple, pour la prise quotidienne du petit-déjeuner. En revanche, ils étaient plus proches des élèves vivant avec leurs deux parents, pour la prise régulière des repas en famille (Fig. 2).

Figure 2 : Comportements alimentaires (%) selon la structure familiale chez les adolescents de Belgique francophone en 2018 (n = 9808)

Quelques pistes pour comprendre ces disparités

La composition du foyer ne permet pas à elle seule d’expliquer de telles disparités dans les habitudes alimentaires des adolescents. Les pistes d’explications sont à chercher du côté d’autres facteurs, qui varient avec la structure familiale et qui ont une influence plus directe sur l’alimentation.

Notamment, les données de l’enquête HBSC permettent de mettre en évidence une association entre structure familiale et niveau socio-économique chez les élèves scolarisés en Belgique francophone [5]. Ainsi, les élèves ayant un niveau d’aisance matérielle élevé, ceux dont les deux parents travaillaient et ceux dont les parents avaient fait des études supérieures étaient proportionnellement plus nombreux parmi les élèves vivant avec leurs deux parents par rapport à ceux issus d’autres structures familiales. Les élèves vivant avec un seul parent, étaient deux fois plus nombreux, comparés à ceux vivant avec leurs deux parents, à déclarer une faible aisance matérielle, n’avoir aucun parent en situation d’emploi, ou encore, n’avoir aucun parent ayant étudié au-delà de l’école primaire. Les élèves des familles recomposées se trouvaient dans une situation socio-économique intermédiaire5. Dans l’enquête HBSC 2018, un gradient socioéconomique était observé pour la plupart des comportements alimentaires, en lien avec ces indicateurs ; une tendance cohérente avec la notion de gradient social constaté dans l’état de santé comme dans les comportements1.

D’autres études ont analysé l’intervention possible d’autres mécanismes, sous-jacents à la structure familiale. Par exemple, l’enquête HBSC en Ecosse a montré qu’avoir de bonnes relations avec ses parents ou beaux-parents était associé à la prise régulière d’un petit-déjeuner [6]. De Vet et al. ont aussi montré que, dans un grand nombre d’études, la cohésion familiale (les liens affectifs qui unissent ses membres), le modèle que donnent les parents et le contrôle qu’ils exercent étaient associés aux comportements alimentaires des enfants. Une fois ces éléments pris en compte, le niveau socioéconomique du foyer et sa composition n’étaient alors plus associés à l’alimentation des enfants. Ce constat souligne la place médiatrice de ces dimensions dans la relation entre le statut socio-économique et comportement alimentaire [7]..

La présence de routines et de règles de vie au sein du foyer est également associée aux comportements alimentaires favorables à la santé et, plus largement, aux habitudes de vie. Dans une étude réalisée dans 8 pays européens, l’effet positif de ces règles de vie sur les comportements de santé était présent chez les filles et les garçons, de façon plus marquée chez les filles2. Ce constat rejoint les différences selon le genre observées dans les données de l’enquête HBSC 2018 en Belgique francophone : concernant les filles, la prise régulière des repas en famille était plus fréquente chez celles vivant avec leurs deux parents que chez celles vivant dans des familles recomposées ou monoparentales. Chez les garçons, la prise des repas en famille était la moins fréquente dans les familles monoparentales. Enfin, les proportions filles-garçons étaient similaires entre élèves vivant en famille recomposée et ceux vivant avec leurs deux parents.

Conclusion

L’observation de telles disparités dans les comportements de santé, selon la structure familiale dans laquelle vit l’enfant, est révélatrice d’un ensemble de facteurs intermédiaires. Lutter contre l’aggravation des inégalités socio-économiques, voire viser leur réduction, reste un levier majeur pour faciliter l’accès à une alimentation de bonne qualité nutritionnelle et favorable à la santé. En ce sens, le soutien des familles monoparentales peut constituer un axe d’intervention. Ces constats rappellent également que la promotion de la santé et l’amélioration des comportements alimentaires devraient passer par des interventions connexes, comme celles qui touchent à la communication en famille ou au type de parentalité.

Retrouvez d’autres résultats de l’enquête HBSC 2018 en Belgique francophone sur le site du SIPES : www.sipes.esp.ulb.be

Article rédigé par Amélie Bellanger, Assistante de recherche au Service d’Information Promotion Education Santé (SIPES) Université Libre de Bruxelles - Ecole de Santé Publique