L’insécurité alimentaire : un enjeu d’actualité pour la promotion de la santé


En Belgique, avant la pandémie de Covid-19, environ une personne sur sept vivait dans la pauvreté [1]. Les personnes dans cette situation sont ainsi contraintes de prioriser leurs dépenses (logement et besoins attenants, soins de santé, autres dépenses incontournables…), souvent aux dépens de leur alimentation. En Belgique comme dans d’autres pays européens, l’insécurité alimentaire figurerait parmi les difficultés croissantes de la population. Cette problématique a en effet été particulièrement mise en avant, voire a pris de l’ampleur, durant la crise sanitaire et lors des inondations de l’été 2021.

L’insécurité alimentaire peut être définie comme une situation dans laquelle se trouve une personne (ou un groupe de personnes comme une famille) lorsque sa capacité d’acquérir des aliments favorables à la santé, en adéquation avec ses préférences alimentaires, est limitée ou incertaine [2]. Cette situation peut être présente de façon chronique, depuis une longue période, ou être transitoire. Quatre piliers de la sécurité alimentaire ont été proposés : la disponibilité des aliments, leur accessibilité (y compris économique, géographique et sociale), leur utilisation et, de façon transversale, la stabilité dans ces trois dimensions (Figure 1).

Figure 1 : les quatre piliers de la sécurité alimentaire

Globalement, il est rapporté que la crise sanitaire actuelle a touché de façon disproportionnée, les personnes en situation de précarité et a pu ainsi creuser d’autant plus les inégalités de santé, déjà observées antérieurement. Suite à la crise sanitaire, l’insécurité alimentaire a augmenté partout dans le monde, y compris en Belgique [3]. Les difficultés économiques (perte d’emploi ou chômage partiel), sociales (confinement, limitation des contacts sociaux) et d’accès à l’alimentation (augmentation des prix, pénuries ponctuelles) engendrées par la crise sanitaire, constituent des facteurs de risque de l’insécurité alimentaire. Cette situation a ainsi menacé les personnes, y compris celles déjà à risque ou en situation de précarité alimentaire, de basculer dans une situation d’insécurité alimentaire [4].

Comment mesure-t-on l’insécurité alimentaire ?

L’insécurité alimentaire peut-être mesurée à l’aide d’outils validés tels que Household food security module (HSSM) [5] ou l’échelle Food Insecurity Experience Scale (FIES) [6]. Ces outils, très proches dans leur concept, permettent, entres autres, d’identifier le niveau de sévérité de l’insécurité alimentaire comme l’illustre la Figure 2 sur base de l’échelle FIES développée par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)[6]. Cette échelle permet d’obtenir des estimations de sévérité d’insécurité alimentaire comparables au niveau international. Elle a notamment été utilisée au Royaume-Uni, en Allemagne, au Portugal ainsi que dans des pays d’Amérique centrale et d’Afrique sub-saharienne [7] [8] [9] [10] [11].

Cette échelle mesure l’insécurité alimentaire vécue et est composée de huit questions sur l’accès à l’alimentation au cours des douze derniers mois :

(1) Vous avez été inquièt(e) de ne pas avoir assez à manger ?
(2) Vous ne pouviez pas manger des aliments nourrissants et bons pour la santé ?
(3) Vous mangiez presque toujours la même chose ?
(4) Vous avez dû sauter un repas ?
(5) Vous n’avez pas mangé autant qu’il aurait fallu ?
(6) Il n’y avait plus rien à manger à la maison ?
(7) Vous aviez faim mais vous n’avez pas mangé ?
(8) Vous n’avez rien mangé de toute la journée ?

Figure 2 : mesure d’insécurité alimentaire à l’aide de l’échelle FIES de la FAO
Source : FAO, Échelle de mesure de l’insécurité alimentaire vécue. (2021).

De manière générale, les données disponibles sur l’insécurité alimentaire proviennent en grandes parties des États-Unis et du Canada, où des études sont menées en continu sur ce sujet. Aux États-Unis, en 2020, environ 10,5% de la population était en situation d’insécurité alimentaire, dont 6,6% étaient en situation d’insécurité alimentaire intermédiaire et 3,9% de façon sévère (jusqu’à ressentir la faim) [12]. Cette dernière catégorie inclut les ménages pour lesquels les habitudes alimentaires d’au moins un membre ont été perturbées et où la nourriture a été réduite à cause de ressources limitées ou absentes[12]. Plus récemment, en Belgique, une enquête menée par Sciensano auprès de plus de 8000 adultes a montré que, en mai 2020 (i.e. en période de pandémie de Covid-19 et de restrictions variées), environ 10% rapportaient craindre parfois ou souvent que la nourriture allait venir à manquer [13]. Ce constat était associé à une réduction de la consommation de fruits et légumes et à une augmentation de la consommation de boissons sucrées[13].

En Belgique francophone, des questions sur l’insécurité alimentaire seront incluses dans deux enquêtes menées par le SIPES en 2022, l’une sur l’alimentation et l’activité physique des étudiants de l’ULB et l’UCLouvain, l’autre sur « Comportements de santé, santé et bien-être des élèves en Belgique francophone ». Ces données permettront d’obtenir des estimations de la situation d’insécurité alimentaire auprès des étudiants et des adolescents scolarisés à Bruxelles et en Wallonie et ainsi d’informer les politiques et actions de promotion de la santé œuvrant auprès de ces publics.

Quels sont les publics concernés ?

L’insécurité alimentaire touche un large public : familles monoparentales, sans-papiers, « travailleurs pauvres », personnes séniors ou sans revenus, etc. Suite à la crise sanitaire, le public considéré comme précaire s’est accru et encore diversifié, avec un tout nouveau public qui se présente tels que les étudiants. Contrairement à des idées reçues, l’insécurité alimentaire ne touche pas exclusivement les personnes très démunies ou considérées comme « pauvres » mais également celles en situation ou à risque de précarité, par exemple, en situation économique ou sociale fragile (endettement, isolement social…).

De nombreux facteurs contribuent à faciliter ou freiner les possibilités d’accès à une alimentation diversifiée et favorable à la santé, tels que les ressources financières et matérielles, le niveau de connaissance, la culture, la santé, le lieu de résidence, les politiques mises en place, etc. [14].

Des conséquences sur la santé et le bien-être tout au long de la vie

L’insécurité alimentaire peut avoir de nombreuses conséquences à court, moyen et long termes sur la santé et le bien-être : les individus dans cette situation sont plus enclins à avoir un moins bon état de santé, à développer des carences, ainsi que des maladies telles que l’hypertension ou la dépression et à souffrir d’exclusion sociale [15] [16]. Par ailleurs, les conséquences de l’insécurité alimentaire sur l’état de santé et le bien-être sont observées aussi bien chez les enfants et les adolescents que chez les adultes et les personnes âgées [17]. Dans certains cas, cette situation peut conduire à des formes de malnutrition tels que l’obésité (Figure 3) [18]. Il est donc crucial de réduire l’insécurité alimentaire tout au long de la vie.

Par ailleurs, l’insécurité alimentaire et la faim, son stade extrême, ont de nombreuses conséquences sur les apprentissages, la santé et le bien-être des enfants et adolescents [19] [20]. En effet, de nombreuses études scientifiques ont montré que les jeunes vivant en situation d’insécurité alimentaire sont plus enclins à avoir des troubles de la concentration, une moins bonne mémoire et de moins bons résultats scolaires [21]. Une des explications avancées dans la littérature est liée à une déficience en fer pendant la grossesse et l’enfance, le fer étant un nutriment important qui contribue au développement cognitif des enfants [19]. Par ailleurs, la précarité alimentaire durant l’enfance est également associée, dans la littérature, à un moins bon état de santé et à un risque plus élevé de développer des maladies (telles que la dépression et les maladies cardiovasculaires), et des comportements à risques durant l’adolescence et à l’âge adulte.

Il est bien montré, dans la littérature, que l’insécurité alimentaire est également associée à un moins bon état de santé et bien-être chez les adultes (Figure 3). En effet, les adultes, y compris les jeunes adultes - tout comme les personnes âgées- vivant en situation de précarité alimentaire, ont un risque plus élevé de développer des problèmes de santé tels que la dépression, l’anxiété, des troubles du sommeil, de l’hypertension ou encore du diabète [22] [23].

Figure 3 : Processus liés aux conséquences de l’insécurité alimentaire sur la malnutrition selon la FAO
Source : FAO, La Sécurité Alimentaire et la Nutrition dans le Monde. (2018).

Que faire ?

Il existe de nombreuses initiatives mises en place pour lutter contre la précarité alimentaire, comme la gratuité des repas dans les écoles pour les enfants et adolescents. En effet, les écoles constituent des lieux clés pour mener des interventions nutritionnelles, celles-ci étant par ailleurs associées à une amélioration de l’état de santé, des consommations alimentaires et des résultats scolaires des élèves [24]. Chez les adultes, il existe également diverses initiatives permettant de mettre à disposition de la nourriture à prix réduit ou gratuitement. Par exemple, le secteur de l’aide alimentaire dispose de plusieurs initiatives à disposition des publics précarisés tels que les épiceries sociales, la distribution de colis alimentaires et les restaurants sociaux et communaux[1]. Néanmoins, ces initiatives ne permettent pas d’atteindre l’entièreté des personnes qui connaissent une insécurité alimentaire, parce qu’ils ne remplissent pas les critères d’accès (ils ne sont pas « assez pauvres » par exemple) et ne devraient constituer qu’une solution à court voire moyen terme. Au niveau international, la FAO projette que l’insécurité alimentaire continuera d’augmenter au cours des prochaines années, tout en insistant sur l’importance de déployer d’avantages de moyens (financiers, matériels et humains), afin de répondre à ces besoins [25].

Ainsi, l’insécurité alimentaire est-elle un enjeu à la fois social, économique et de santé publique. Par ailleurs, la disponibilité d’une alimentation de qualité, durable et accessible à tous figure parmi les ambitions de plusieurs politiques bruxelloises, telles que la stratégie Good Food ou le Plan Social-Santé Intégré (PSSI). Du côté du secteur de la promotion de la santé, des rencontres avec les acteurs bruxellois de promotion de la santé et les acteurs de l’aide alimentaire, organisées par le SIPES, ont souligné les besoins d’échanges sur les pratiques respectives et de collaboration entre acteurs et secteurs. Afin de réduire l’insécurité alimentaire, il est en effet indispensable de mettre en place des solutions ambitieuses et de long terme, à l’aide notamment de politiques et interventions visant à réduire les situations de précarité, à faciliter l’accès à une alimentation favorable à la santé et de qualité pour tous et à améliorer les capacités de chacun à faire face aux situations de crise.

Lien utiles

Numéro vert gratuit : 0800 35 243 (à Bruxelles) ou 1718 (Wallonie).

Association pour la solidarité étudiante en Belgique (Aseb) : https://www.aseb-campus-brussels-com.mon.world/aseb/accueil/epiceries/

Plateforme La Ressourcerie du manger solidaire : ressources et des outils sur la promotion de l’accès à toutes et à tous à une alimentation durable :
https://www.ressourceriedumangersolidaire.be/les-ressources/

Article rédigé par : Emma Holmberg
Assistante de recherche au Service d’Information Promotion Education Santé (SIPES)
Université Libre de Bruxelles - Ecole de Santé Publique

Mis à jour le 16/12/2021